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un pari

samedi 18 octobre 2014

Malentendu, quiproquo, les mots nous mènent en bateau. Ce n’est pas neuf. C’est se faire une idée plutôt idéale que d’imaginer que le langage sert la communication. Il tente tout au plus de la pallier.Du côté des animaux, il apparaît clairement qu’un grognement, un gémissement, une gestuelle, une attitude laisse très peu de place à l’ambiguité. Du côté des humains, un regard, une moue, une mimique, même involontaire, de préférence involontaire, est du même tonneau, celui de la sincérité. Les mots, quant à eux, outrent qu’ils savent des choses de nous que nous ignorons, se prêtent à tous les trafics, toutes les influences. La sempiternelle interrogation : « tu vois ce que je veux dire ? » l’illustre.
Du petit, qui est en passe de se faire virer de l’école, nous nous demandons : « qu’est-ce qu’on va faire de ses journées ? » , sachant qu’on ne peut guère avoir confiance en lui. Comme souvent, quand une question se pose, s’impose, on vérifie du côté de Deligny, qui ne parle pas, jamais, de confiance. Et la question se déplace : qu’est-ce que la confiance ?
Au petit, qui est en passe de se faire virer de l’école, nous demandons : « c’est quoi, pour toi, la confiance ? ». Il hésite, zigzague, tergiverse … puis évoque ses amis : « c’est en eux que je peux avoir confiance ». Un peu mesquins, on lui demande qui sont ces amis idéaux. Il paraît qu’il en a plein. La vie nous a appris que ça n’existe pas, plein d’amis, ou alors c’est autre chose. Mais il a encore bien le temps de vivre.
La discussion continue, rythmée par de longs silences pensifs, et il est d’accord : on fait difficilement confiance au menteur avéré, au voleur confirmé. Et puisqu’il est lucide, il admet qu’on serait très naifs, ou autre chose, mais quoi ? lui faire confiance, mais ses amis, oui. Eux, ils peuvent, et c’est réciproque.
Ah, réciproque. C’est exact que l’étymologie l’évoque : cet aller-retour est indispensable. Comme dans le respect, et l’amour, probablement. Condition sine qua non.
Au petit, en passe de se faire virer, nous demandons : qu’est-ce que tu feras, quand tu ne pourras plus y aller, à l’école ? Et la réponse fuse. Il travaillera, bien sûr. Où ? Mais à « Périple, bien sûr ! ».
Et c’est là que ça coince véritablement. A « Périple », comme ailleurs, sans confiance, pas de boulot, ou alors encadré. Ou alors survient cet autre chose, mis de côté dans le paragraphe qui précède. Et cet autre chose n’est qu’une cabriole optimiste, une astuce volontariste, un pari quasi pascalien, parce que raisonnable : on inverse le jeu habituel. Au lieu de décréter la confiance, réciproque inévitablement, à la suite des preuves de sa validité, ou au moins de l’absence de motifs d’invalidité, on la pose malgré les signes de son inexistence. On la crée de toutes pièces. Cela semble le meilleur moyen, et peut-être le seul, de la faire advenir. Qu’est -ce qu’on risque ? Un menu larcin, dont nous avons expérimenté l’inocuité fondamentale (ce qu’on peut nous retirer n’a que peu de valeur), soit rien, à l’échelle. Qu’est-ce qui est à gagner ? Une autre possibilité d’existence pour ce gamin, version actualisée de l’indigent de Tolstoi. Il n’y a pas à balancer, conclut Blaise, il faut parier.
Et puisque c’est un peu délicat d’utiliser légèrement le mot confiance, à cause de la réciprocité qu’il suppose, on n’a qu’à appeler ce que d’autres nommeraient folie ou naïveté pari, tout simplement. Le latin pariare, à l’origine du mot, ne signifie-t-il pas rendre égal ?