Accueil > Maison Deligny > marcher > la ritournelle, pièce avec costumes

la ritournelle, pièce avec costumes

dimanche 28 février 2016

Repousse ceux qui viennent s’offrir, ne va pas chercher ceux qui s’éloignent de toi et compte ceux qui restent. S’il n’y en a qu’un, commence avec celui-là. (Deligny)

C’est un cycle, une ritournelle. Mis en échec, ces petits ont été placés, comme on dispose les pièces d’un jeu. Il leur revient de jouer la partie qu’on leur impose, c’est-à-dire se déplacer sur l’échiquier. Et puisqu’il existe mille et mille façons de jouer la partie, et qu’en général, s’il n’y a pas toujours un gagnant, souvent il y a un perdant, le jeu peut très bien être décousu, déconcentré, symboliquement suicidaire.

Ces deux là, qui annoncent la couleur, veulent à tout prix se casser, et le terme est adéquat à plus d’un titre. Tu ne peux rien faire d’autre contre cette volonté, si c’en est bien une, que l’accepter. Il reste à les placer, les déplacer, jusqu’au pied du mur, là où le choix a l’occasion de devenir définitif.
L’un panique, calcule à toute vitesse, et conclut que l’ailleurs dont il rêve risque bien d’être pire que l’ici, qu’il finit par réélire. Le sentiment d’avoir choisi librement a un effet libérateur, motivant, et on repart avec lui pour un tour, jusqu’à la prochaine velléité, raisonnable ou non, de départ, qu’il conviendra de réfléchir à nouveau, soupeser, et là est le travail que nous avons à faire avec lui.

L’autre, mis en situation scénographiée de trancher, opère le choix inverse. Il répète sur tous les tons, depuis quelque temps, son désir de partir, de se rapprocher de sa famille, qui vit dans le pays voisin. Une marche, il aime ça, est programmée : après le parachutage, en compagnie d’un adulte qui aime ça aussi, il a l’occasion, carte en main, de crapahuter pendant quelques kilomètres sur le fil de la frontière. Vient un croisement, où son compagnon lui indique : la Maison Deligny, c’est par là, à trois jours de marche. Chez toi, c’est par là, à trois jours de marche. On rentre ensemble à Limerlé, puisque c’est ce qu’on a convenu. Le petit n’hésite guère : en huit mois, il a appris à se débrouiller.

Trois heures plus tard, la gendarmerie est au bout du fil. Les policiers, qui faisaient sans le savoir partie du casting de la petite comédie, jouent leur rôle à la perfection. Ils ont vite fait comprendre au gamin que s’il peut choisir de s’enfuir, il ne peut, mineur, décider de rentrer chez lui : cette décision appartient au juge, et ils sont dans l’obligation de le ramener « au foyer ». En quelques heures il a donc pu vérifier que nous ne nous opposons pas à son départ, mais qu’il est contraint, dans l’attente d’un nouveau placement/déplacement arbitraire, de patienter avec nous. Cela simplifie nos rapports en délocalisant le conflit. Ses ennemis ne sont pas les nôtres, et s’il refuse notre amitié superflue, nous voilà devenus alliés objectifs. Puisqu’il désire partir, nous le rejoignons dans ce choix, sans pouvoir, pas plus que lui, être juges de la suite.

Et ce qu’il nous reste à construire avec lui, pendant les quelques jours ou quelques semaines nécessaires à son transfert, c’est son départ. Faire en sorte que la colère, l’impatience, et toute la panoplie des passions tristes ne ternissent pas ce qui a été, globalement, une expérience joyeuse, une collection d’instants à coller dans l’album aux souvenirs, une page relativement positive à ajouter à un dossier plutôt sombre, car là est la documentation qui va orienter le choix du juge.

Et c’est avec l’autre, celui qui reste, que nous avons à commencer.

Arrange-toi pour qu’ils aient toujours cette sensation de choix, hors de laquelle il n’est pas de bonne volonté possible. (Deligny)

« »