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la mauvaise herbe

samedi 13 décembre 2014


La plupart des motifs des troubles du monde sont d’ordre grammatical. Nos procès ne naissent que des discussions sur l’interprétation des lois, et la plupart des guerres de l’impuissance de savoir exprimer clairement les conventions et les traités d’accord des princes. (Montaigne)

Qu’est-ce que la confiance, sinon une convention, inspirée par l’expérience,et orientée vers l’avenir. Autrement dit, un pari, toujours renouvellé, soumis aux aléas des probabilités. Il est rare que le probable soit certain. Ce serait même contradictoire, contre sa nature statistique.

Celui qui choisit, prudemment, de ne pas parier, ne perd certes rien. Il ne gagne rien non plus, c’est ainsi.

Notion abstraite, la confiance n’existe pas. C’est comme l’amour. Mais ce qui existe, autant que les preuves d’amour, c’est la preuve de confiance. Toujours plus ou moins risquée, cadenassée au verdict de la situation, dépendante d’un contexte, d’une temporalité.

Un tel, qui a confiance en moi, apprendra que je peux juger opportun de le laisser se dépêtrer de l’embarras où il s’est mis. Un autre s’apercevra que, si j’affirme qu’il peut compter sur moi, je ne suis pas capable pour autant de me lever à l’aube, et tant pis s’il a besoin de moi au chant du coq. Un autre encore que je suis absorbé par autre chose, que je n’ai pas la force, ou le courage, ou l’intelligence, l’adresse qu’il me prête.

Comme dans la physique, l’énergie de la confiance est potentielle, et sa cinétique révèle parfois autre chose que la promesse théorique : frottements, forces contraires, déviation. Toujours le choc entre le monde des idées et le monde sensible, en somme.

Il faut donc réévaluer la confiance en termes matérialistes, pour pouvoir en faire autre chose que du discours, des prétextes ou des alibis, ou une fabrique de déception.

Dire au petit qui est là, qui vole et ment sans vergogne, que je ne peux pas travailler avec lui faute de confiance, c’est le figer en cet état, cette minorité dont rien ne peut sortir. Et c’est, au passage, me dispenser de sa présence, qui n’est pas de tout repos. Habile...

La pratique, même radicale, du doute, n’empêche pas d’agir : le sceptique n’est pas inerte, il relativise, il questionne. Il nous suggère peut-être de réinjecter une dose de doute dans la confiance, de la relativiser à son tour, c’est-à-dire de l’associer à une situation, un contexte, un espace-temps.

Dans ce cas, je peux agir avec le petit, en amont de la confiance avérée. C’est le seul moyen de la laisser advenir. Car le degré zéro de la confiance, évidemment, n’existe pas. Au plus bas de l’estimation, je puis encore lui faire confiance pour aller à rebours de mes attentes, lesquelles sont sans doute très naïves, voire insensées, car elles aussi doivent être connectées à une situation, à un individu.

D’ailleurs, « se fier » et « confier » sont des verbes transitifs. Toujours la grammaire.

Alors, quoi ? Quelques notions de physique, un zeste de stoïcisme, une pointe de scepticisme, ne peuvent que m’amener à faire ce que j’ai annoncé, cultiver la graine de crapule, et par là même, me révéler, un tant soit peu, digne de … confiance.