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Lettre de Jacques Rancière à Marie Aréna
Soutien au projet d’école différente de Pédagogie Nomade
mercredi 24 octobre 2007, par
Université Paris VIII le 15 mars 2007
Département de Philosophie
Jacques Rancière, professeur émérite
à Madame Marie Aréna Ministre de l’Enseignement en Communauté Française
Objet : soutien au projet d’école différente de Pédagogie Nomade
Madame la Ministre,
Je voudrais, par la présente, apporter mon soutien chaleureux au projet qui vous est présenté par le groupe Pédagogie nomade. J’ai lu attentivement ce projet et j’ai eu la possibilité de discuter de ses principes et de leur mise en pratique avec Monsieur Benoît Toussaint. Il me semble remarquable par son souci d’articuler l’exploration en profondeur des fondements théoriques d’une école différente avec l’attention minutieuse aux détails les plus concrets de son fonctionnement. Ce projet alternatif par rapport aux formes traditionnelles de l’enseignement n’est pourtant guidé par aucune adhésion dogmatique à telle ou telle théorie de la pédagogie ou de l’anti-pédagogie. Le groupe qui l’a élaboré a manifestement réfléchi sur ces théories et décidé de retenir des unes et des autres , sans a priori, les éléments théoriques et pratiques susceptibles de fonder une école différente adaptée au temps présent . Il a pensé cette expérimentation pédagogique dans le cadre d’une vision globale de la société, mais non pas sous la forme d’une contre-société autosuffisante. Il a mis au cœur de l’entreprise projetée l’articulation des deux objectifs qui orientent toute politique éducative conséquente : l’acquisition du savoir et la conquête de l’autonomie. Ces deux finalités de l’Ecole sont constamment invoquées ensemble, mais à peu près toujours disjointes ou opposées dans la pratique. L’enseignement officiel privilégie l’acquisition du savoir, considérant la construction de l’autonomie comme son résultat, alors qu’elle est seule à pouvoir nourrir le désir de savoir. Nombre de pédagogies alternatives tendent, à l’inverse, à disqualifier le savoir au nom du développement de la personnalité des élèves. Le projet de Pédagogie nomade a le rare mérite de dépasser cette alternative. Il met clairement le désir de savoir au centre de son entreprise, tout en mettant à la base de son fonctionnement l’affirmation de l’autonomie, la participation effective des élèves à l’ensemble des responsabilités de l’institution. Il insiste sur la dimension symbolique irréductible de l’institution scolaire sans y voir, comme tant d’autres, le principe d’une opposition entre apprentissage scolaire et démocratie. J’ai été impressionné par la qualité de la réflexion qui innerve la conception des aspects pratiques de l’école projetée : assemblée, groupes de base, groupes de niveau, de besoin et de désir. Cette qualité tient beaucoup à l’enquête que les initiateurs du projet ont menée dans plusieurs établissements publics alternatifs en France et au Luxembourg. Ils ont eu le souci non seulement d’observer mais aussi de prendre part à la vie de ces établissements, pour pouvoir pleinement en mesurer les acquis, les lacunes ou les problèmes. Cette conjonction entre réflexion théorique et engagement pratique contribue à l’élaboration d’un projet qui réunit au plus haut point deux qualités volontiers opposées. Il s’agit là d’un projet audacieux, fondé sur une croyance radicale dans les vertus de l’autonomie et de la démocratie. Et il s’agit, en même temps, d’un projet profondément raisonnable et équilibré qui ne veut imposer aucune théorie préformée et n’ignore rien des difficultés d’une expérimentation radicale de ces vertus. Compte tenu de ces éléments, je pense que ce projet, porté par une équipe enthousiaste et réfléchie, se présente sous les meilleurs auspices et que sa réalisation est éminemment souhaitable. C’est pourquoi je lui apporte mon soutien très chaleureux et sans réserve.
En vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à cette lettre, je vous prie d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de toute ma considération.
Jacques Rancière Paris