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le petit pinceau et la lune

vendredi 2 août 2013

à trop rechercher le coupable ou la victime, on s’éloigne de l’affaire...

Celui-là entretient avec son membre, viril depuis peu, une relation plutôt obsessionnelle. A sa décharge, si l’on peut dire, il faut signaler que les bons médecins l’ont bien gavé d’un médicament qui compte, parmi ses nombreux effets secondaires, une érection persistante, et probablement perturbante.

Cet autre a connu, au long de sa petite enfance, des violences familiales, sexuelles à l’occasion, et a tendance à se méprendre sur l’usage de son intimité. S’il ne montre pas, comme dans la chanson, son cul à tous les passants, il lui arrive, c’est un de ses jeux, de se déculotter et d’exposer devant les copains sa rondelle jadis malmenée.

Ils ont vingt-quatre ans à eux deux, et les psychiatres se sont longuement penchés sur leur cas problématique. Ensuite ils les ont envoyés à la Maison Deligny, eux et leurs médicaments.

Et voilà que le bruit se répand dans le village que l’un pénètre l’autre. Le parquet, dûment et anonymement alerté, débarque et mène son enquête, sans en livrer le motif. Il est toutefois répété, sourcils froncés et mine sombre à l’appui, que c’est grave, très grave. Sinon, pourquoi seraient-ils dépêchés sur place.

La petite discussion avec les gamins qui suit la visite taciturne dévoile le pot aux roses. La rumeur est avérée, et les deux arsouilles semblent en tirer, chacun à sa façon, quelque fierté.
Ça donne à penser. Les témoins de leur séjour à la Maison Deligny, qui se prolonge depuis plusieurs mois pour l’un, et près d’un an pour l’autre, ont pu constater un jeu de domination-soumission entre les garçons. Plus costaud, le premier exige, menaces à l’appui. Du tabac, de l’argent, des friandises, un vélo… En recherche d’amitié, de protection, de reconnaissance, l’autre exécute, et ses petits larcins achètent sinon l’amitié et la complicité recherchées, du moins la gratifiante impression d’être comparse occasionnel.

Que dit l’éthologie ?
Quand deux individus se rencontrent sur un territoire, leur premier souci est d’établir une hiérarchie, qui sera déterminée à la suite d’un affrontement direct ou, ce qui devient intéressant, une de ses variantes. Toute la machine-corps doit s’apprêter à l’action, par l’intermédiaire du système nerveux autonome, qui comprend deux sous-systèmes opposés. Le système sympathique a pour tâche de préparer le corps à l’action violente : l’adrénaline se déverse dans le sang, le cœur bat plus vite, la salivation est réduite, l’activité respiratoire s’accélère, etc. Le système parasympathique s’occupe de conserver et de restaurer les réserves du corps : le sang coagule plus vite, le poil se hérisse et la transpiration abonde, afin de rafraîchir le combattant, etc.

Tous ces mécanismes vitaux ainsi activés, l’animal est prêt à se lancer à l’attaque, mais il y a un hic. Le combat sans merci peut mener aussi bien à la défaite qu’à la victoire. L’espèce est rusée, et comme tout organisme vivant, elle se programme pour organiser sa survie, laquelle est menacée par une ardeur sans frein au combat.

C’est ainsi que dans toutes les formes supérieures de vie animale, on observe une stylisation du combat : la menace et la contre menace sont fréquemment utilisées pour remplacer le combat véritable. Véritables signaux de l’activité nerveuse sympathique, les hérissements de poil, grondements, modifications de couleur, la sudation agressive, les postures et les mouvements agressifs, fournissent des indications précises sur l’intensité de la volonté d’en découdre, jusqu’à remplacer le combat lui-même, car les adversaires se sont déjà mesurés, et peuvent faire l’économie de la lutte.

Mais il y a plus intéressant encore. Il existe une autre source importante de signaux spéciaux, relevant d’une catégorie de comportements qu’on a appelée « activité de diversion ». On voit ainsi des rivaux, inhibés par l’opposition de tensions (attaquer ou fuir) se livrer à des comportements déplacés : cela va du bâillement au sommeil instantané, en passant par des ébauches de geste de toilette, une soudaine préoccupation pour la nourriture. Toujours, en ce cas, l’animal qui se sent inférieur, et prêt à accepter la domination, va tâcher de modifier l’humeur du vis-à-vis, de le distraire de son agressivité.

La forme la plus rudimentaire de soumission est la totale inactivité. Peuvent être utilisés d’autres schèmes qui sont le contraire de la menace. Tourner le dos, par exemple, ou exposer une zone vulnérable de son corps. La seconde catégorie de signaux d’apaisement fonctionne en tant que mécanismes de remotivation : adoption de postures juvéniles utilisées pour mendier la nourriture, de posture sexuelle de femelle, manifestation de l’envie de s’épouiller ou d’être épouillé. En effet, dans le monde animal, on pratique beaucoup le toilettage collectif et réciproque.

Nous y voilà.
Ecartons, dans notre réflexion, le troisième mécanisme : les gamins là n’attachent pas beaucoup d’importance à leur toilette ou à celle des copains, et ce signal est passé de mode chez eux. Les deux autres, par contre, ont cours. La domination, quand elle ne passe pas par la bagarre, est déviée dans les champs de l’alimentation, symbolique par sa médiocrité : je t’offre un red bull ou un mars, en échange de quelque chose, qui est de l’ordre d’un pacte de non agression. Ou alors elle dévie vers les jeux sexuels : je te tends mes fesses, ou ma bouche, parce que j’accepte d’être soumis à ta supériorité.

Et la lutte est ainsi évitée, comme contournée. Il n’y a pas eu détournement de mineur, ou alors ils se sont mutuellement détournés, variante incongrue, inversée, pratiquement, de la toilette réciproque.

On aurait préféré une belle bagarre de gamins, à tout choisir. La guerre des boutons, dans toute sa splendeur épique. On se souvient cependant que l’homme, quoiqu’il prétende, est un singe nu, pour reprendre la formule de Desmond Morris, un primate sans s’en rendre compte.

Le travail consistera donc à faire comprendre au petit que dans ce combat stylisé il est partie-prenante plus que victime, et à l’autre, à peine moins petit, qu’à vouloir établir sa supériorité de la sorte, il tombera sur un plus costaud que lui, qui saura bien le castrer d’une façon ou d’une autre. Jadis c’était le camphre, mais la chimie pharmaceutique elle aussi s’est activée, et propose d’autres substances. La machine répressive ne demeure jamais en reste elle non plus. Puis ensuite, de rendre audible à leurs oreilles l’idée qu’une vie sexuelle peut être joyeuse, solaire, et autre chose qu’un très animal signal de domination/soumission. Il faudra alors aller avec détermination à contre-sens de ce que clament la publicité et la consternante sous-production médiatique auxquelles ils sont exposés, plus ailleurs qu’ici. Et c’est un rouleau compresseur.

Les bonnes âmes qui s’exclament que l’un doit être « sauvé » et l’autre « puni » peuvent s’égosiller, dénoncer… c’est ce qu’elles font le mieux. Et ce ne sont probablement pas elles qui vont, au quotidien, proposer aux deux antagonistes d’autres possibilités d’existence que celles qu’ils ont connues jusqu’ici. Et savoir que celles-ci n’ont pu mener qu’à cela devrait rendre prudent le censeur.
Et le titre de ce petit texte ? C’est lui aussi le résultat d’un affrontement ritualisé, celui de la métaphore et de l’étymologie.